Clara TAULIER
En France, entre le XIXe et le début du XXe siècles, les évolutions des modes de vivre liés à la croissance économique et l’expansion du confort domestique en ville, ont largement impactés les formes urbaines (PANERAI, CASTEX, 1997) (pensée hygiéniste, déplacement des industries, développement de l’automobile, etc.). Les centres anciens sont alors percés, et le patrimoine historique qui les compose est remanié. Nous pouvons considérer que les travaux de Gustavo Giovanonni, ingénieur, diplômé en hygiène publique en 1896, au XXe siècle, ont marqué un tournant crucial, en Italie, dans le traitement du centre ancien par rapport au modèle Haussmannien français. G. GIOVANNONI compose avec trente ans d’histoire de plans régulateurs italiens : il prend en compte hygiénisme, problèmes d’extensions de villes, sauvegarde du patrimoine et politique foncière. En France, si les Monuments Historiques naissent au XIXe siècle, c’est véritablement au début du XXe que la conscience patrimoniale prend son essor et que les mesures de protection et restauration à l’échelle urbaine se développent et s’accélèrent (MINISTÈRE DE LA CULTURE, 2013). Cette période coïncide également avec les premiers enjeux sur le bien-être en ville et les questions climatiques. L’omniprésence de la motorisation amène à questionner la place du piéton et les possibilités de promenade en ville. La découverte et la contemplation du patrimoine deviennent des arguments d’appréciation du paysage urbain, ce qui pousse à sélectionner des monuments d’intérêt, et à faire le choix de leur prise en compte dans les aménagements urbains. Après la Révolution Française, des législations se mettent en place, jusqu’à la Loi du 31 décembre 1913 relative aux Monuments Historiques (MINISTÈRE DE LA CULTURE, 2013). Cette législation semble trouver écho en le « Vincolo » italien. En Italie l’« association artistique des amis de l’architecture », créée en 1890, organise les congrès en 1900 et 1915, en vue de diffuser l’art de construire les villes, et de définir de nouveaux moyens de protéger le patrimoine artistique (ZUCCONI, 1989). C’est au début du XXe siècle que les premières législations italiennes sur la protection du patrimoine apparaissent : la première étant la Loi n°185 sur les biens culturels de 1902. Aujourd’hui, les deux nations possèdent des organismes administratifs gérant les outils de protection et de gestion patrimoniale : notamment les DRAC en France, que l’on peut mettre en parallèle avec les Soprintendenze italiennes (DERUVO, 2022). Aujourd’hui, dans le contexte de densification urbaine (la population à vivre en ville dans le monde en 2050 est estimée à 6,3 milliards selon le Conseil économique et social des Nations Unies) et avec les problématiques liées au changement climatique (isolation des bâtiments patrimoniaux, production d’énergie), les projections sur la ville se complexifient. De plus, l’essor de la patrimonialisation pose la question de la muséification des centres anciens. La combinaison de ces facteurs questionne la place des monuments patrimoniaux individuels en tant que problématiques et atouts à l’échelle urbaine. À Montauban, en France, la récente restauration de la Place Nationale, place historique du XIIe siècle, questionne la rôle de ces monuments dans une stratégie urbaine à l’échelle du centre ancien, alliant préservation de son histoire et valorisation de son rôle contemporain. En quoi l’histoire du rapport entre patrimoine architectural et restauration urbaine peut-elle nous informer sur les projections urbaines de demain ? Quels sont les grands enjeux des réaménagements urbains à venir ? Comment le patrimoine architectural peut-il être associé à ces enjeux ? Pour interroger ces premiers éléments, nous réaliserions en premier lieu une une étude théorique ainsi qu’une bibliographie des théories de restauration urbaine en Italie et en France. L’objectif est de développer une connaissance globale des règlementations patrimoniales (protections, identification, valorisation, label…), ouvrages théoriques de patrimonialisation et de restaurations urbaines, ou encore plans d’urbanisme depuis le XIXe siècle. L’hypothèse étant que l’histoire politique et des législations des deux pays les ont amené à des approches de patrimonialisation et de planification urbaine distinctes. Il sera intéressant de dresser une chronologie de l’histoire patrimoniale en France et en Italie, et d’en retirer des points convergents comme distinctifs. 2. ETUDES DE CAS : Cagliari et de Montauban La conscience patrimoniale semble avoir un rôle important dans la restauration urbaine des centres anciens des villes italiennes et françaises. C’est notamment l’exemple donné par les récents travaux sur la Place Nationale, coeur de ville de Montauban, qui sera le cas d’étude privilégié de notre recherche en France. Depuis 1144, si elle est une centralité municipale, la place est aussi le coeur du commerce montalbanais. Le réaménagement de 2021 respecte son rôle comme lien privilégié au passé de bastide de la ville, et comme centralité urbaine principale. Ce choix est également motivé, car nous en sommes originaires, et suite aux questionnements posés lors de notre mémoire de recherche de master sur la réhabilitation du Musée Ingres Bourdelle en lien avec les théories d’Aloïs Riegl et de Cesare Brandi. Petit à petit, le patrimoine montalbanais est mis en valeur, et sert à son tour à mettre en valeur la ville : l’ancien château fort, palais épiscopal, hôtel de ville, est aujourd’hui le principal musée de Montauban, abritant les oeuvres des fameux Ingres et Bourdelle, enfants montalbanais. Son attraction dépasse ce qu’il abrite, l’écrin étant lui aussi prétexte à la contemplation. Autant utile qu’objet d’art, l’ancien palais épiscopal a su intégrer la maille urbaine et la vie de ses contemporains. Sa réhabilitation vient d’un travail de mise en valeur de la ville, et de son centre ancien, par un réaménagement urbain global qui s’appuie sur ses monuments. Cette direction marque un tournant dans l’aménagement de Montauban, par rapport aux transformations du XIXe siècle, où les axes routiers et les automobiles re-dessinent le centre ancien. Au début du XXe siècle, la législation Monuments Historiques met en lumière des morceaux de l’histoire montalbanaise, leur offrant considération et traitement adaptés. On compte dix Monuments Historiques dans la ville. Sous quels critères ont-ils été élus ? Quelles en ont été les conséquences pour la ville ? Cagliari est également en proie à des projets de réaménagements urbains en considération de son patrimoine, notamment en lien avec la relation entre le vieux port et le quartier historique de La Marina qui lui fait face (LECCIS, 2023). La ville possède un des plus gros ports de Méditerranée, qui se caractérise de plus en plus par une portualité de loisirs (LECCIS, 2023). La régénération urbaine et le tourisme permettent de faire face à des crises économiques, telles que celle qu’a pu vivre l’Italie ; dans le cas d’une ville portuaire telle que Cagliari, cette régénération amène souvent au traitement du front de mer (ANDRADE, COSTA, 2020). Les PUC 1, 2 et 3 projètent l’amélioration du front de mer et la revitalisation urbaine du centre ancien, en repensant la relation entre le vieux port et La Marina. En 2010, le quartier historique de Villanova accueille de son côté un projet de régénération, en faisant un des quartiers les plus attractifs de la ville (MEMOLI, PISANO, PUTILLI, 2015). À partir de quand, et sous quelles formes s’est développée la conscience patrimoniale à Cagliari et à Montauban ? Quels sont les outils de sa préservation ? Quels en sont les objectifs ? Comment faire dialoguer richesse patrimoniale et vie contemporaine ? Nous faisons l’hypothèse que des réglementations nouvelles permettent une première prise de conscience des Montalbanais sur leur patrimoine ; en parallèle, des plans d’aménagement urbain à échelles diverses posent la question de la forme d’une ville, et de l’adaptation d’un centre ancien aux modes de vie actuels. À Montauban, la politique municipale volontaire et active sur les questions d’aménagement du centre historique, permet d’amener une réflexion sur la place des monuments dans la ville, leurs besoins et leurs potentiels. À Cagliari, le rapport du port à La Marina, et l’intérêt du tourisme dans l’économie de la ville, entraînent un intérêt croissant pour la préservation patrimoniale et sa place dans les aménagements urbains. Entre préservation et aménagement, Cagliari et Montauban composent. Cela nous amène à une première problématique de recherche : Dans quelle mesure les outils de planification urbaine et de patrimonialisation peuvent-ils s’accorder pour allier préservation des centres anciens et aménagements contemporains dans une comparaison entre Cagliari et Montauban ? Pour répondre à cette problématique, nous devrons développer une connaissance fine de l’histoire de Cagliari et Montauban. Pour cela, il sera réalisé nombre de travaux de terrain et collecte de données : bibliographie d’ouvrages historiques traitant des deux villes, études d’archives, analyse des outils et des politiques publiques, visites, rencontres avec des habitants, des municipaux, des spécialistes ; ainsi qu’une production de documents graphiques, relevés, schémas, dessins, etc. Nous pourrons ainsi élaborer une méthodologie d’analyse des données : mettre en parallèle les théories de restaurations urbaines étudiées avec les travaux de terrain effectués, à travers des plans de centres anciens à plusieurs époques, des documents graphiques offrant une trace des monuments et aménagements urbains au fil des années, des témoignages de débats, municipaux notamment, sur l’évolution urbaine de ces centres par des plans d’aménagement. Ces outils seront élaborés tout au long du travail de recherche
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Auteur(s) :
Clara TAULIER
Composition du jury :
École doctorale : Temps, Espaces, sociétés, cultures (TESC), UT2J
Unité de recherche : Laboratoire de Recherche en Architecture (LRA), ENSA T
Directeur de thèse : Rémi Papillault, professeur HDR en architecture, docteur en histoire, EHESS, Paris.
Codirectrice : Constance Ringon, maître de conférence, docteure en architecture, ENSA-Toulouse.