A. Résumé du projet de recherche :
TOULOUSE, DU GRAND ENSEMBLE A LA VILLE DURABLE
Prospectives et actions
Partout en France bien des grands ensembles sont vus comme des structures fermées sur lesquels les différentes politiques de résorption sur plusieurs décennies n’auront que trop rarement fonctionné. Depuis 2003 l’Agence Nationale de rénovation Urbaine a signé 399 conventions pour la mise en œuvre d’actions sur les « quartiers sensibles » dans le cadre du Plan National pour la Rénovation Urbaine avec des moyens techniques et financiers importants où l’on est plus souvent parti d’une recomposition radicale que d’une restauration-transformation dans une analyse fine de ces quartiers.
Comment intégrer les grands ensembles à la ville durable ? Quels critères de durabilité pour ces morceaux de ville qui accueillent souvent plusieurs milliers d’habitants ? Comment en partant de ceux qu’ils sont, de leur identité habitante, de leurs qualités de composition dont constructives, de nature et de paysage, imaginer des transformations motivées, sensibles et raisonnées, à la fois respectueuses des permanences et ouvertes aux changements ?
En tant que recherche-action, notre proposition venait en réponse à des besoins et une demande réels, formulés par les organismes HLM, Toulouse Métropole et les syndicats de copropriétaires pour les résidences privées.
Ainsi nous travaillerons plus particulièrement sur trois grands ensembles toulousains :
– la cité Papus (1948-1970), ensemble de 734 logements, quartier prioritaire de la ville / Toulouse Métropole Habitat ;
– la cité Belle Paule (1953-1956), copropriété de 350 logements / Syndics Barthas Immobilier et Gédim;
– Ancely (1963-1973), copropriété de 856 logements / Syndic Martin Gestion + groupe des Chalets;
Notre projet de recherche a réuni plusieurs disciplines intéressées par cette problématique de prospective architecturale et urbaine. Elle implique des enseignants chercheurs et praticiens de l’ENSA Toulouse, un ingénieur de l’INSA, et des partenariats avec Toulouse Métropole, l’Union sociale pour l’habitat, Toulouse Métropole Habitat, les deux syndicats de copropriété, des associations habitantes.
Il y a donc l’idée d’observer et d’éprouver ce lien au travers de thématiques articulant analyses et projets sur des échelles spatiales et temporelles.
Cette recherche couvre une dimension de projet interdisciplinaire et trans-scalaire autour des notions de « mixité », de « nature en partage » et d’ « énergies », termes récurrents dans les programmes des projets d’habitats durables vue au travers de la question des usages et du temps, et sous-jacents aux projets de réhabilitation des ensembles concernés, avec notamment les demandes : de reconstruction d’un vivre ensemble, d’adaptation des logements liée à la transformation des modes de vie, de valorisation de l’image, de requalification des espaces partagés, de rénovation énergétique, de mise aux normes sanitaires, techniques et d’accessibilité, etc.
Ainsi, la mixité est tant une mixité sociale que typologique. Pour nous cette notion, très large, convoque à la fois l’échelle de la cellule (distribution des types), l’échelle de l’unité immobilière (combien d’appartements sur un immeuble, la question des usages à l’échelle du grand ensemble (commerces, travail, etc.) et celle d’une prévention situationnelle raisonnée plutôt que d’un urbanisme sécuritaire.
Nous avons préféré le terme de nature à celui de paysage. Plus complexe il intègre la dimension d’usage des espaces ouverts du grand ensemble du plus public au plus privé. Ces espaces de nature partagés comprennent la dimension des prairies, arbres, cheminements, jeux, pièces d’eaux, en intégrant aussi le stationnement et les espaces techniques du grand ensemble.
La notion d’énergie recouvre bien sûr la dimension de la thermie avec un gros travail sur l’isolation des parois et des menuiseries que nous proposons de faire dans un partenariat avec les enseignants et étudiants de l’INSA. Néanmoins, nous proposons de réfléchir à cette question dans une dimension trans-scalaire en intégrant la question du chauffage, de sa production et de sa distribution ; des déchets et du tri sélectif ; des îlots de chaleur ; de la mesure de la durabilité des matériaux employés pour la rénovation-restauration.
Notre projet articule de manière forte recherche et enseignement par le biais de propositions pédagogiques spécifiques :
En 2e année de licence, dans le cadre de deux enseignements d’histoire et de sciences humaines et sociales, nous avons proposé d’initier les étudiants à la recherche en archives, à l’enquête de terrain et à l’entretien sociologique par des exercices de « portraits de ménages » sur un ou plusieurs des terrains de la recherche et de les sensibiliser ainsi à l’importance du croisement des sources historiques avec l’observation in situ.
Dans le master « Heritages in progress », les étudiants de 4e et de 5e années (séminaire et projet) ont travaillé sur un ou plusieurs grand(s) ensemble(s) toulousain(s), dans une démarche trans-scalaire (quartier, ensemble, immeuble) et par le croisement des sources à disposition (initiation à la recherche en archives, lectures, relevés in situ, etc.). En séminaire, ils ont été amenés à se positionner sur les enjeux sociétaux liés à la recherche et à la construction d’outils de mesure spécifique à chaque site.
En projet S8 S9 S10 PFE, l’intervention de différentes acteurs du projet : habitants, collectivité locale, techniciens et ingénieurs ont permis aux étudiants de fonder leur proposition à l’intérieur de conditions réelles et comme réponse à une demande motivée dans l’espace et dans le temps. Pour les différents acteurs, cet échange a permis la connaissance et la valorisation du lieu d’habitat, l’ouverture à de nouvelles pistes de réflexion – voire de remise en question de projets en cours.
La thèse de doctorat de Cédric Dupuis liée à notre recherche et menée en parallèle nous a permis de comprendre la culture de projet et de clarifier les stratégies des différents acteurs dans la gestion et la réhabilitation de leur patrimoine « habitat XXe siècle ».
Nous avons obtenu en suivant un financement pour le 4ème appel qui nous a permis de développer avec Christian Barani une stratégie de vidéo-concertation dont Cédric Dupuis et Natacha Issot vous parlerons tout à l’heure.
Le Label ACR et la procédure de Site Patrimonial Remarquable comme outil de projet pour la transformation des grands ensembles
Nous avions, en début de recherche, obtenu que l’opération des maisons individuelles dites « Les Mûriers » conçue par Candilis, Josic et Woods à la fin des années 1960 obtienne le Label « Patrimoine du XXème ». Les cérémonies à la DRAC, la pose de la plaque Ad hoc à l’entrée du lotissement, les recherches de l’école d’architecture et les articles dans la presse, ont généré chez les habitants une fierté et au-delà des obligations dans la gestion des travaux d’entretien et d’amélioration de l’habitat.
Les copropriétaires se sont appuyés sur cette reconnaissance patrimoniale pour orienter toutes leurs décisions dans le respect des bâtiments, du changement des menuiseries jusqu’aux plantations des espaces extérieurs. Loin d’être un frein, on peut dire que la valeur patrimoniale devenait ici une plateforme de discussion ouverte à d’autres thématiques communes. Une monographie sur l’opération devrait bientôt sortir qui racontera son histoire et ses transformations. Elle donnera aussi quelques règles pour la restauration.
En suivant l’action engagée auprès de la DRAC pour le label ACR de la cité d’Ancely a abouti en décembre 2019. Du fait du Covid-19, la manifestation prévue pour fêter cela a été annulée. La façon dont le syndic, l’assemblée des copropriétaires et les associations se sont entendus au début de 2019 pour formuler la demande auprès des services de la DRAC a permis de fédérer les habitants autour des qualités patrimoniales de leur quartier.
Ce travail devrait aboutir sur un outil de protection de la cité a inventé.
La dimension de protection de ce label ACR est cependant limitée à l’obligation par les copropriétaires d’alerter la DRAC en cas de travaux. En cas de désaccord elle ne peut pas s’y opposer. Soit elle supprime le label soit elle engage un sursis à statuer, bloquant le permis de démolir ou de travaux sur un an dans l’attente d’une protection au titre des monuments historiques.
Un Site Patrimonial Remarquable à Dimension Sociale
Pour aller plus loin, il nous semble que l’outil « Site Patrimonial Remarquable » qui gère en France la question des espaces protégés soit le plus adapté. Il permet d’établir un projet de préservation et valorisation en y intégrant des moyens de médiation et de participation citoyenne, peu ou mal défini dans la loi, mais qui dans le cadre d’un grand ensemble pourrait recouvrir une dimension de transition écologique, sociale, durable.
L’article 75 de la loi CAP de 2016 a créé les « sites patrimoniaux remarquables » (SPR), à caractère de servitude d’utilité publique, pour clarifier la protection en faveur du patrimoine urbain et paysager.
De façon générale, il est dit que les SPR sont «les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présentent, au point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public ».
Ils peuvent aussi concerner « les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou quartiers un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à leur conservation ou à leur mise en valeur ». L’étude en vue du classement d’un SPR a aussi pour objectif d’identifier les caractéristiques « fondant la notion d’ensemble cohérent du point de vue patrimonial sur un secteur déterminé ». Elle s’attache à dégager les enjeux et les objectifs à atteindre pour assurer la reconnaissance, la protection et la mise en valeur.
Ce dispositif qui permet d’identifier clairement les enjeux patrimoniaux nous parait pouvoir particulièrement bien s’appliquer aux grands-ensembles dans la formule « plan de valorisation de l’architecture et du patrimoine » dite PVAP qui ouvre sur une servitude d’utilité publique de façon plus adaptée qu’un PSMV, « plan de sauvegarde et de mise en valeur » qui est lui à proprement parler un document d’urbanisme, plus lourd à mettre en place, et destiné à l’origine de la loi Malraux de 1962, à protéger aussi les intérieurs des bâtiments.
Sans entrer ici dans le détail de la procédure, nous voudrions montrer comment on pourrait adapter le SPR aux quartiers d’habitat social en nous inspirant de ce que nous avons fait par ailleurs pour un centre ancien en situation sociale difficile.
Dans un premier temps la loi demande de délimiter l’emprise du SPR qui en l’espèce pourrait se caler sur les limites du grand ensemble ou au-delà intégrer des quartiers adjacents ou des morceaux de paysages naturels ou urbains qui seraient dans l’aire d’influence du quartier. Ce périmètre et l’outil de gestion, ici donc de type PVAP, serait ensuite soumis à la Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture pour validation. L’ensemble passe ensuite en enquête publique et fait l’objet en suivant d’un arrêté de classement.
Dès la publication de la décision de classement une commission locale doit être instituée avec une composition qui nous intéresse particulièrement ici. Elle se compose de membre de droit avec le président de la commission c’est-à-dire soit le maire de la commune ou le président de l’Établissement Public de Coopération Intercommunale compétent en matière de document d’urbanisme ; le préfet de département ; le directeur régional des affaires culturelles et l’architecte des bâtiments de France.
Elle se compose aussi de membres nommés, au nombre maximum de 15 dont un tiers de représentants désignés par le conseil municipal en son sein, ou le cas échéant par l’organe délibérant de l’EPCI compétent en son sein ; un tiers de représentants d’association ayant pour objet la protection, la promotion ou la mise en valeur du patrimoine et un tiers de personnalités de qualifiées.
Le texte de loi précise « qu’il peut apparaître opportun d’intégrer ici les acteurs de la vie locale, tels que commerçants, ou personnalités disposant d’une connaissance particulière de l’histoire du territoire, ou des services ayant une compétence dans le domaine de patrimoine ou des paysages, non membre de droit, tels que le Conseil Régional, service patrimoines et inventaire ou Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement ». Ainsi, nous proposons ici d’intégrer à la commission les acteurs sociaux du grand ensemble, bailleurs, associations, syndic et autres acteurs tel que défini plus haut dans la recherche.
Un des buts de la commission est d’assurer le suivi de l’étude aux différentes phases de son élaboration.
On lit que les documents à élaborer dans le cadre d’un SPR peuvent parfaitement s’appliquer à un grand ensemble, en tous cas, au moins dans sa dimension physique, matériel.
Et c’est là sa limite, et nous proposons de la dépasser en travaillant aussi sur la dimension sociale, culturelle et immatériel. Nous avons précisé l’appellation originale ainsi : site patrimonial remarquable à dimension sociale.
Ces dernières années, on a vu en France une dimension de transition écologique plus particulièrement mise en avant. Elle est déployée par différents ministères, un arsenal d’incitations au projet, conduit soit depuis l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine avec une dimension sociale ou depuis les préfectures avec les projets Coeur de Ville, Centre bourg pour une dimension économique ou encore des projets « Territoires à Energies Positives et Croissance Verte » (TEPCV).
Les meilleurs points de toutes ces procédures peuvent être adaptés comme des extensions profitables à la commande d’un SPR en grand-ensemble mais nous militons pour que tout projet parte d’une connaissance fine du ou des projets d’origine et de leurs transformations aux échelles urbaines, architecturales et paysagères pour s’ouvrir dans le même temps à la dimension sociale :
– Le diagnostic technique et social patrimonial
– L’enquête sur les politiques de peuplement
– Les parcours résidentiels
– L’économie générale pour lui-même et sur la ville
– L’équipement commercial, scolaire, culturel et sportif
– Les stratégies énergétiques et environnementales du quartier
Mixité, énergie et nature en partage tant dans une dimension de diagnostic que dans une dimension de projet.
Équipe :
Responsables scientifiques :
Rémi Papillault, architecte, docteur en histoire EHESS, professeur hdr ENSAT
Audrey Courbebaisse, architecte, docteur en architecture, maitre-assistant associée ENSAT puis UCL Louvain
Équipe de recherche :
Cédric Dupuis architecte, doctorant ENSA-TESC
Marion Bonhomme, architecte, ingénieur INSA, docteur en génie civil, maitre-assistant ENSAT
Christian Barani, artiste cinéaste
CIEU-LISST / Université de Toulouse Jean Jaurès :
Samuel Balti, Docteur en géographie-urbaine
INSA Toulouse :
Stéphane Ginestet, ingénieur INSA, maitre de conférence INSA et Maurice Caradan, ingénieur structure
LRA / ENSA Toulouse :
Nathalie Prat, architecte / Anne Sassus, architecte / Nadine Ribet, sociologue / Juan Carlos Rojas Arias, architecte, docteur en urbanisme et aménagement, Bernard Ferries, ingénieur, Formations professionnelles continues ENSA Toulouse, Anne Péré, architecte-urbaniste. Experts chercheurs invités : Jésus Leal Maldonado, sociologue, professeur Université Fluminense de Madrid Marie-Christine Jaillet, CIEU-LISST / Université de Toulouse Jean Jaurès, Directrice de recherche CNRS,
Institutions partenaires :
URCAUE 31, Françoise Favarel, directrice
DRAC LRMP, Benoit Melon, conseiller pour l’architecture
Toulouse Métropole, Jacques Rosen, architecte, directeur à l’aménagement
Union Sociale de l’Habitat, Sabine Veniel-le-Navennec, directrice de l’agence Midi-Pyrénées Habitat Toulouse, Luc Laventure, directeur général Groupe des Châlets Toulouse, Jean-Paul Coltat directeur général ICF Habitat Sud Ouest, Françoise Cravéa, directeur de l’agence Midi Pyrénées Patrimoine Languedocienne